samedi 1 février 2014

Le nuage

Je ne me souviens pas bien du jour de l'accident. Je me souviens d'entendre les adultes en parler, je me souviens de ressentir l'inquiétude de ma mère particulièrement. Je me souviens bien de ce qui a suivi. Des uns qui se moquaient de l'angoisse des autres, je me souviens que je n'avais plus le droit de ramasser les champignons, alors que notre voisin en cueillait régulièrement. Je me souviens qu'on se pressait dans les fermes pour aller voir ce drôle de veau qui venait de naître avec cinq pattes, et ce mouton qui n'avait quasiment pas de tête. Je me souviens des uns qui disaient que c'était rien maintenant que c'était passé, et des autres qui disaient qu'on verrait dans quelques années.

Emmanuel Lepage se souvient bien aussi. Et il a voulu aller dessiner cet anéantissement de plus près. Tu te retrouves avec une oeuvre brûlante entre les mains. Tu ressens absolument tout dans son trait: la vie figée, la terreur, le noir et la nature qui combat, le vert trompe l'oeil qui colonise le secteur, le vert mortel qu'on ne peut même pas caresser tant il est irradié, presque trente ans après. Alors il dessine un documentaire époustouflant. Une histoire monstrueuse dans laquelle le monstre est indicible, seul le bip du dosimètre empêche d'oublier son existence et rappelle qu'on ne ramasse rien qui a été en contact avec le sol...pas même le crayon, indispensable au dessinateur.


Un Printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage, éditions Futuropolis



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...